Hommage à Michel Cartier par Yves Moreau
Samedi 22 septembre 2018
« Mon premier contact avec le folklore international s’est fait en 1963, inspiré par mon chef scout qui était un adepte de la danse folklorique. C’est lui qui m’a parlé des soirées du jeudi soir à la montagne. Pour moi, c’était un rendez-vous hebdomadaire magique, une sorte de village recréé avec des musiques et des danses envoutantes. On pourrait dire un voyage autour du monde. Cette activité estivale gratuite nous était offerte par le Service des parcs et loisirs de la Ville de Montréal. Pendant le reste de l’année, on pouvait aller danser le samedi soir dans des dizaines d’endroits et aussi participer à des ateliers de danse qu’on appelait « folkmoot » avec des spécialistes invités de réputation internationale.
Un des leaders et pionniers important du mouvement folklorique montréalais a été pour moi, Michel Cartier, qui sans contredit fut un personnage important dans l’évolution du mouvement folklorique au Québec tant récréatif que sous sa forme d’art de la scène.
Au début des années 50, Michel Cartier fréquente les activités de l’Ordre de Bon Temps qui faisait la promotion d’activités de loisirs (danse, chant, mime, etc.). C’est là qu’il découvre et apprend ses premiers rudiments des sets carrés. C’est aussi à cette époque qu’il fait la connaissance de personnages influents tels Ambroise Lafortune (Père Ambroise), Félix Leclerc et Gaston Miron.
En 1952, il met sur pied à Longueuil, la troupe des Feux-Follets qui organise des cours de formation en danse folklorique et présente des spectacles. C’est à cette même période qu’il découvre le réseau folklorique américain. Il participe au Maine Folk Dance Camp et y fait la connaissance des spécialistes américains Michael et Mary Ann Herman ainsi que de Ralph Page. Cartier organise aussi plusieurs folkmoots à Montréal avec des professeurs invités tels que Dick Crum qui travaille déjà avec les Hermans à New York et les Tamburitzans de l’université Duquesne à Pittsburgh. Avec ses connaissances du folklore des Balkans qu’il a visité dès 1953, Dick Crum en a inspiré plusieurs dont Michel Cartier et Robert Legault. On lui doit des classiques tels que Šetnja, Kolo Kalendara, Vranjanka et Čačak. C’est dans cette même période que Michel Cartier publie la revue Ques’Kia? qui donnait une foule de renseignements sur le folklore du monde entier.
En 1957, il est invité à Moscou pour siéger sur un jury international lors du Festival international de la jeunesse. C’est là qu’il fait la connaissance du grand chorégraphe russe Igor Moyseyev et plusieurs autres spécialistes d’Europe de l’Est. Pendant ce périple il passe plusieurs semaines à visiter divers pays dont la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce, etc. Il revient à Montréal avec tout un bagage de nouvelles danses et chorégraphies ainsi que de superbes costumes authentiques qui s’ajouteront à la collection des Feux-Follets.
En 1958, la Fédération folklorique du Québec est créée. Elle deviendra plus tard la Fédération Loisirs-Danse du Québec (FLDQ). Michel Cartier qui est alors déjà impliqué avec la Ville de Montréal, met sur pied les premières soirées folkloriques du Mont-Royal et voit à la mise sur pied de l’Atelier folklorique de la Ville de Montréal sur la rue Desjardins où est situé maintenant le Parc Olympique. L’Atelier folklorique devient rapidement le quartier général des Feux-Follets et met également ses locaux à la disposition des groupes folkloriques montréalais qui désirent y tenir leurs répétitions, cours de formation, et autres activités.
De 1959 à 1961, Michel Cartier est invité à enseigner aux Camps folkloriques de Stockton et du Maine aux États-Unis. Il y enseigne des danses du Québec et de Bulgarie et supervise la production de plusieurs disques de musique en collaboration avec Michael Herman de New York (étiquette Folk Dancer). Il produit même un microsillon de musique folklorique de Roumanie pour le compte de la célèbre maison Folkways de New York.
C’est en 1963 que j’ai eu le coup de foudre pour les danses et la musique de Bulgarie. C’est lors des soirées du Mont-Royal que je découvre des danses bulgares telles que Dajčovo Horo, Ekizlijsko Horo, Jovano Jovanke, Jambolsko Pajduško et autres. À cette époque, la troupe des Feux-Follets organisait de temps en temps des soirées sociales pour accueillir les ensembles folkloriques professionnels lors de leur passage à Montréal. Ce fut le cas en 1963 pour l’Ensemble National Filip Koutev de Bulgarie ainsi que la troupe Orce Nikolov de Macédoine. Ce dernier était venu pour recueillir des fonds pour les victimes du récent tremblement de terre qui avait frappé Skopje, la capitale. Je n’oublierai jamais ces deux spectacles et particulièrement celui de l’Ensemble Koutev à la Place des Arts, présenté le 22 novembre 1963, jour de l’assassinat de J.F. Kennedy à Dallas. La tristesse et l’émotion étaient palpables.
En 1964, les Feux-Follets sont déjà très actifs pour les préparatifs de l’EXPO ’67 et tiennent des auditions à l’Atelier folklorique pour trouver de nouveaux danseurs et danseuses. J’y ai fait un stage de deux mois pour y apprendre du répertoire québécois, international et même autochtone. En fin de compte je n’ai pas été sélectionné, probablement à cause de mon trop jeune âge (15 ans). Ce fut quand même une bonne expérience et l’occasion pour moi de faire la connaissance d’excellents danseurs comme Camille Brochu, Michel Saint-Louis, Florent Filibert, Jacques Primeau, et autres.
En 1966, en revenant de mon premier voyage en Bulgarie, j’ai fait un détour par Paris pour assister au spectacle des Feux-Follets au célèbre théâtre de l’Olympia. J'étais très impressionné de voir en grosses lettres sur la marquise du théâtre : « L’Ensemble national du Canada, les Feux-Follets! » Ce spectacle de 2 heures consistait en un programme varié composé de folklore québécois, canadien, multiculturel, et même plusieurs tableaux des premières nations. C’est alors la consécration pour Michel Cartier, le visionnaire, le communicateur, le chorégraphe. Il avait réussi à rassembler un ensemble artistique composé de 60 artistes dont faisaient partie le violoneux Ti-Jean Carignan, l’accordéoniste Philippe Bruneau et de superbes danseurs parmi lesquels mes amis folkloristes montréalais mentionnés ci-haut.
Après des spectacles quotidiens à EXPO ’67, les Feux-Follets ont continué à charmer les spectateurs sur plusieurs scènes d’Amérique du Nord et d’Europe sans oublier les fréquentes participations télévisées au Ed Sullivan Show à New York.
Michel Cartier réalise par la suite de nombreuses émissions pour la télévision sur des thèmes portant sur le folklore et les cultures du monde. Il ne faut pas oublier qu’il a aussi été le chorégraphe des Cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques de Montréal en 1976.
Au début des années 70, il commence une nouvelle carrière comme chercheur et spécialiste dans le domaine des nouvelles technologies informatiques. Il a été professeur au Département des communications de l’UQAM de 1975 à 1997 et consultant auprès de nombreux gouvernements dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de leurs impacts sur la langue et la culture.
Auteur de nombreux ouvrages, il est le récipiendaire de plusieurs prix et distinctions, dont la Médaille de l’Assemblée nationale du Gouvernement du Québec.
Merci Michel pour ton inspiration et ta passion qui m’ont permis de découvrir et apprécier les cultures et les traditions du monde et avoir la chance à mon tour de transmettre cette richesse à d’autres. »